Pouvons-nous éviter à nos enfants de connaître la culpabilité ? Est-ce vraiment souhaitable ? La réponse est « oui… et non ». Oui, parce que la culpabilité n’éduque pas. Elle atteint durablement l’image que l’enfant a de lui-même, le rend malheureux. Non, parce que la conscience de la faute est indispensable dans la construction psychologique de l’enfant et pour qu’il trouve sa place dans la société. Comment le responsabiliser sans le culpabiliser ? La psychanalyste Claude Halmos rappelle quelques principes de base.
Laurence Lemoine, Psychologies Magazine
Exprimer des demandes légitimes
« Il faut que le parent soit convaincu que sa demande est légitime. S’il ne l’est pas, s’il doute de ce qu’il dit, l’enfant n’a aucune raison d’obéir. Ce qui rend une demande légitime, c’est qu’elle ne résulte pas simplement du bon plaisir du parent, mais qu’elle est un rappel de la loi générale : on ne tape pas, on ne vole pas, on ne rentre pas tard sans prévenir, etc.
Ces lois sont indispensables pour l’intégrité de l’enfant et celle de son entourage. Elles permettent de sortir de l’animalité, de se civiliser, de se socialiser. Le travail du parent est de les transmettre, celui des enfants, d’apprendre à s’y conformer. Est légitime une demande que n’importe quel parent placé dans la même situation ferait. À partir de là, soit l’enfant obéit à la règle et tout se passe bien, soit il n’obéit pas et il reçoit une sanction, de la même manière qu’un automobiliste qui brûle un feu rouge reçoit une amende. Il paye pour ce qu’il a fait. Dans ce registre, la culpabilité n’a pas sa place. Il est important d’expliquer à l’enfant que ce qui est interdit pour lui l’est aussi pour les autres, les enfants comme les adultes, partout dans le monde, parce que, sans ces règles, la vie en société serait impossible. »
Eviter le chantage affectif
« La culpabilité surgit lorsqu’un parent invoque, pour justifier sa demande, autre chose que la règle commune, notamment en faisant jouer la corde affective. Quand il dit par exemple : “Fais cela… – … pour me faire plaisir”, sous-entendu : si tu ne le fais pas, je serai malheureux. – … pour être gentil”, sous-entendu : si tu ne le fais pas, tu es méchant. – … parce que c’est bien/mal.” Ces notions morales, si elles ne s’appuient sur aucune explication, sont floues et sources de confusion : “Maman dit que voler c’est mal, et Mamie dit que toucher son sexe, c’est mal. C’est mal pareil ou c’est différent ?”
Tous ces arguments confus, difficiles à justifier, font le lit de la culpabilité névrotique : la conviction diffuse d’être intrinsèquement mauvais, incapable, vicieux… Enfin, quand on reproche quelque chose à un enfant, il est important de le dissocier de son acte. On réprimande l’enfant qui a volé en lui expliquant que voler n’est pas autorisé, pas en l’accusant d’être un voleur. On sanctionne sa faute et non sa personne. »
Donner des explications
« Il faut donc être en mesure d’expliquer, avec de vrais motifs rationnels, l’intérêt de se comporter d’une manière ou d’une autre. Par exemple, on ne tient pas la porte à une personne âgée pour lui faire plaisir, parce que c’est gentil ou parce que c’est bien, mais parce que si elle la reçoit dans la figure, elle peut être blessée. Ou parce qu’elle n’a pas la capacité de tenir la porte et sa canne en même temps sans risquer de tomber… Chez les enfants les plus turbulents, le simple fait d’expliquer pourquoi on énonce une règle remet les choses en place. On n’est jamais coupable d’un interdit que l’on ne connaissait pas. En revanche, une fois qu’il est appris, on l’est si on le transgresse de nouveau. Et l’on s’expose à une sanction. »
Libérer ses pensées
« On peut être coupable de ses actes, jamais de ses désirs ou de ses pensées. Il est important que l’enfant comprenne qu’il a le droit d’avoir dans sa tête les pensées ou les envies les plus terribles. Ce n’est pas « mal », c’est normal et ça arrive à tout le monde. Mais… il ne peut pas pour autant passer aux actes car si, chez les humains, on peut tout penser et tout dire, on ne peut pas tout faire. »